« L’art de Gabrielle Kourdadzé se détermine, à première vue, à l’ordre d’un questionnement formel, celui de l’inscription dans l’espace d’une ou plusieurs figures – sinon fragments de figures –, contenues à l’intérieur du support sur lequel elle a choisi de la ou les représenter. La façon qu’elle a de les donner à voir, sur le fond monochrome de la toile ou du papier qu’elle utilise, excède leur effet de silhouettes découpées, de même que celui d’un arrêt sur image. Elles y apparaissent comme dans un espace- temps suspendu, en attente, saisies hors de tout contexte narratif, laissant le regardeur à sa libre imagination. Exécutées au pinceau, tantôt à l’encre, tantôt à l’huile, selon le support retenu, les figures de Kourdadzé se détachent d’autant plus nettement du fond que celui-ci est systématiquement peint en dernier lieu, une fois qu’elle les a réalisées. L’artiste en suit alors méticuleusement le contour de sorte à les entourer en totalité dans un espace de couleur unique qui recouvre la surface laissée en réserve. Le contrepoint entre ses personnages et cette étendue chromatique contribue à mettre en exergue le vide pour en faire un partenaire à part entière – « comme un autre personnage », dit l’artiste - de l’ensemble de sa composition. Qu’elles soient individuelles ou en groupe, ses figures - qui sont toujours à échelle 1 - occupent le champ iconique jusqu’à approcher de ses bords, comme si elle cherchait à les y inscrire au maximum, sans que cela paraisse jamais contraint. Elles s’offrent ainsi à voir dans un rapport de réalité qui les rend communes, voire familières. Quoique l’artiste en parle comme des « portraits », ses personnages n’en demeurent pas moins anonymes, extraits qu’ils sont de leur environnement. Ce faisant, par-delà le soin de leur exécution, les figures de Kourdadzé relèvent du mode de la metexis, imposant tout à la fois leur présence et leur potentialité d’expression symbolique. Issues de photographies d’actualités ou prises au vol dans la rue, ses images opèrent somme toute comme des instantanés, d’autant que ce que retient l’artiste n’est autre que de l’ordre d’un détail. De la sorte, ses personnages fonctionnent comme les indices de situations à caractère générique, voire universel. Souvent figurés en binôme ou en groupe, chacun d’une couleur différente, ils semblent tous confinés dans une même solitude, un même silence. En même temps, l’artiste joue de superpositions qui les rassemble dans une même unité spatiale, les lie en transparence, - parfois proche d’une vision stéréoscopique - et leur confère une certaine densité. Quelque chose d’une théâtralité est en jeu dans la manière dont Kourdadzé règle leur relation, que l’on retrouve également dans les peintures de fragments de corps dont les images sont chargées d’une dimension d’énigme appuyée. À la découverte de ses personnages, on s’interroge immanquablement sur leur identité, sur leur posture et sur leur relation ; on relève qu’ils n’échangent aucun regard et qu’ils s’abandonnent au leur dans une forme de quête intérieure. Ici et là, on s’invente le prolongement de leur figure tronquée, comme le possible d’un réel perçu, ou simplement aperçu. Si les titres de ses oeuvres ne nous fournissent que très peu d’informations quant à l’histoire des personnages qu’elle met en scène, l’importance que l’artiste accorde au jeu de leurs mains en dit long en revanche de l’idée de lien ou de l’expression d’un ressenti et leur mise en situation les renvoie à la suggestion d’un vécu. La scénographie qu’a imaginée Gabrielle Kourdadzé dans le cadre de son exposition participe avantageusement à restituer cette dimension humaine. Artiste plasticienne, elle est tout en même temps musicienne et il lui importe de « faire dialoguer ses œuvres plastiques avec des compositions sonores. » Au terme de tout un processus de notations, de lecture et d’enregistrement de conversations relevées au fil du temps, elle a composé une bande son qui cumule mots, paroles et fragments en un brouhaha structuré et vient emplir de façon plus ou moins audible l’espace de l’exposition tout du long de son développement. C’est dire si Gabrielle Kourdadzé nous invite à faire une expérience doublement phénoménologique, visuelle et auditive, à la source d’images et de sons, pour mieux en faire valoir la force de signe et d’écho. »
“ Rien ne les prédestinait à se retrouver en duo dans le contexte d’une même exposition. Rien, sinon la peinture. Si celle-ci a ses secrets, il est toujours possible de les percer pour entrevoir ce qui peut rassembler les uns et les autres. Il suffit tout d’abord de bien connaître ceux-ci, puis d’avoir perçu leur motivation à recourir à ce mode, enfin de prendre la mesure tant de ce qui les ressemble que de ce qui les distingue. Donc, rien, sinon la peinture et le désir d’un tiers. L’art de Gabrielle Kourdadzé est requis par l’humain, celui de Julien Colombier par le végétal ; l’un est adossé au réel, l’autre puise dans l’imaginaire. Celle- ci use de la photographie pour saisir telle ou telle posture d’individus rencontrés ici et là ; celui-là n’accorde aucune place à l’espèce humaine et son univers n’est que pure fiction. Aussi pourrait-on penser qu’ils sont aux antipodes l’un de l’autre mais, ayant choisi la peinture pour moyen d’expression et la figure pour vecteur plastique, ils se rejoignent dans la façon d’appréhender cet exercice. Certes, l’art de celle-ci est fondé sur la problématique de l’inscription dans l’espace d’une ou plusieurs figures – sinon fragments de figures – contenues à l’intérieur du support sur lequel elle les représente tandis que la démarche de celui-là relève d’un lâcher prise de la couleur en surface pour exprimer quelque chose d’une force vitale. Mais, dans les deux cas, il s’agit pour l’un comme pour l’autre d’une tentative de dire un être-là, au sens où ce qui gouverne leur art respectif procède de cette nécessité intérieure que Kandinsky a définie comme condition sine qua non à tout acte de création. De plus, chacun d’eux a une pratique du dessin qui est constitutive de leur démarche, donc à la source de leur création. Celle de Kourdadzé relève d’un soin particulièrement minutieux des motifs dont elle s’empare et ses encres sur papier jouent de subtiles valeurs monochromes. Le dessin, chez Colombier, est l’armature même de son champ d’exercice, qu’il occupe tout un mur ou la seule surface d’une feuille de papier, et l’usage qu’il fait du pastel lui permet de jouer de toutes sortes de veloutés et de vibrations chromatiques. Le terme de Contemplations choisi pour leur exposition en dit long d’une attitude par rapport à la peinture, ici semblable à la façon dont en parlait Gasiorowski quand on lui rendait visite à l’atelier et qu’il nous invitait, à un certain moment, d’« aller voir Peinture », l’incarnant dans le personnage mythico- fictif de Kiga. Pris à la racine du mot, contemplation signifie littéralement « être avec une portion du ciel ». Il s’agit donc d’une invite à une élévation, celle de l’esprit. Mais il y est aussi question de temps, toute forme de contemplation exigeant en effet de le prendre ou de le donner. Cela rejoint ce qui fonde ontologiquement la peinture quand nous affirmons – et ici une nouvelle fois à l’adresse de ces deux artistes - que « le luxe de la peinture est de prendre son temps et que celui du peintre est de lui donner le sien. » Et le regardeur d’agir également. Comment pourrait-il y aller autrement, d’ailleurs, si l’on aspire à entrer en peinture ? Les figures en arrêt de Kourdadzé tout comme les paysages invasifs de Colombier réclament que notre regard s’y attarde parce que, bien au-delà de ce qui est donné à voir, le sujet n’y est jamais que pré-texte alors que la peinture, elle, en est le texte. La texture, la matière. Ici la couleur, en aplats contenus pour l’une, en vifs coups brossés pour l’autre – mais peu importe la manière. Ce qui les différencie et les rassemble témoigne de la possibilité d’un mode tant inépuisable dans ses ressources que résolument pérenne.
“D’origine franco-géorgienne, musicienne et née d’une gémellité, Gabrielle Kourdadzé joue des superpositions et des enchevêtrements d’images pour constituer des corps intermédiaires, métissés par une double identité. « Still, life (IRM) » mobilise des zones de son cerveau responsable de la perception du mouvement et de son empêchement par le diagnostic d’une sclérose en plaques. Tissées avec des fleurs fanées tenues du bout des doigts, les abstractions issues de l’imagerie médicale et des conventions neurologiques évoquent le plissé de drapés baroques, la rencontre de deux cycles de vie. Accompagnés d’une bande sonore composée à partir de ses dessins à l’encre, l’œuvre convoque ses propres paradoxes (sec / humide), ainsi que les dissonances et les harmoniques d’une nature morte à l’origine de nouveaux processus organiques. »
Documentary Webseries, 10 x 4min episodes
This webseries explores the daily life of women artists; their work, their doubts, their successes. It was shot entirely in vertical, in the form of very short episodes, destined to be shared as reels on Instagram.